Sur une plage de Libye, dont la localisation précise est impossible, des hommes vêtus des mêmes combinaisons orange que celles utilisées par le groupe Etat islamique (EI) lors de ses mises en scène macabres sont contraints de s’agenouiller, avant d’être décapités dans le sable. La vidéo a été mise en ligne dimanche 15 février. Quelques heures plus tard, un porte-parole de l’Eglise copte, en Egypte, affirmait que les victimes avaient été identifiées. Comme l’affirmaient leurs bourreaux, elles font bien partie du groupe de chrétiens coptes enlevés en janvier à Syrte, en Libye.
Dans la soirée, le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, a déclaré à la télévision que Le Caire s’emploierait à « venger ces assassinats ». Dès l’aube, lundi, des positions de l’EI dans son bastion libyen de Derna, étaient l’objet de frappes aériennes. L’Egypte a donc désormais, de manière officielle, le pied dans la guerre en Libye.
Cette vidéo n’aura pas été qu’un moment d’horreur. Elle est aussi destinée, en tant qu’outil de propagande politique, à mettre en scène la présence de l’EI en Libye. Le groupe des bourreaux se réclame de la branche libyenne de cette organisation, dans la « wilayat Tarabulus » (région de Tripolitaine). Jeudi, déjà, Dabiq, la publication en ligne de l’EI, avait diffusé images et texte concernant les otages coptes, « message signé avec le sang à destination de la nation à la croix ». Comme des centaines de milliers de leurs compatriotes, ces derniers étaient venus en Libye à la recherche d’un emploi.
Beaucoup d’Egyptiens ont quitté le pays depuis l’éclatement à la mi-2014 de combats entre deux coalitions, celle du général Haftar, et Fajr Libya (« Aube de la Libye »). Le Caire vient d’enjoindre désormais tous ses ressortissants à quitter la Libye. L’Egypte est l’alliée du général Khalifa Haftar, actuellement engagé dans des combats sur plusieurs fronts, et déclarant faire la guerre aux « terroristes », définition vague mais incluant l’EI.
Tactique de tension
Cette organisation n’était présente en Libye qu’à travers un groupe affilié dès 2014 dans la ville de Derna, dans l’Est, revendiquant des attentats et développait des cellules clandestines dans trois « wilayat ». Mais depuis janvier, le groupe est engagé dans une expansion rapide, fondée sur un ensemble d’attaques, dont celle de l’hôtel Corinthia, à Tripoli, qui a fait entre neuf et douze morts, ainsi que des démonstrations de force dans plusieurs localités, avec une volonté manifeste d’« internationaliser » leur action.
Dans l’enregistrement de l’exécution, un des bourreaux explique, en anglais : « Cette mer dans laquelle vous avez caché le corps du cheikh Oussama Ben Laden, nous jurons, par Allah, que nous la mélangerons avec votre sang. » C’est la deuxième fois (après l’attaque du Corinthia) que l’EI en Libye justifie un acte en le liant à Al-Qaida, alors que les deux organisations sont rivales, voire ennemies, en Iraq et en Syrie.
Le commentateur de l’exécution affirme se trouver « au sud de Rome », et promet de partir à la conquête de la capitale italienne. Une tactique de tension, encore, alors que l’Italie vient d’interrompre les activités de son ambassade à Tripoli, la dernière représentation diplomatique encore ouverte officiellement dans la capitale libyenne, et a proposé de contribuer, en troupes, à une force internationale des Nations unies destinée à éviter que l’éclatement de la Libye ne constitue un terrain idéal pour l’EI, à quelques centaines de kilomètres de la pointe sud de l’Europe.
Coup de force
Au cours des dernières semaines, des installations pétrolières situées au sud de la côte reliant la Tripolitaine à la Cyrénaïque ont été attaquées, sans doute pour tenter de capturer d’éventuels Occidentaux. En fin de semaine dernière, une longue colonne de plusieurs dizaines de véhicules aux couleurs de l’EI s’est déployée à Nawfaliyah, sur la côte, à environ 150 km à l’est de Syrte.
Cette ville est voisine de Ben Jawad, où se trouve le commandement de l’opération « Shourouk » de Fajr Libya, menée par des brigades de Misrata pour tenter de prendre le contrôle des terminaux pétroliers du « croissant pétrolier » (de Al-Sidra jusqu’à Ajdabiya).
Or, c’est à présent en plein territoire Fajr Libya que l’EI prend son essor. Syrte est théoriquement une ville « alliée ». Des brigades de Misrata s’y trouvent cantonnées, aux côtés d’une forte importante implantation de Ansar Al-Charia, proche d’Al-Qaida. Au cours des derniers jours, les cellules de l’EI à Syrte ont lancé un « coup de force » symbolique, investissant les bâtiments de la radio et diffusant des discours du chef de l’EI. Fajr Libya, accusée par Karama, la coalition du général Khalifa Haftar, d’être complice de l’EI, a annoncé son intention d’envoyer des forces à Syrte pour y reprendre le contrôle de la ville. C’est une autre victoire de l’EI à ce stade : faire éclater un peu plus les complexes alliances libyennes.