Le Brésil n’est pas tiré d’affaire

L’opposition brésilienne a fêté dimanche soir le vote validant la procédure de destitution de la présidente Dilma Rousseff, mais son éventuel successeur par intérim ne sera pas à l’abri des difficultés.

Le vote à une majorité écrasante — 367 voix pour et 137 contre — des députés a permis à la procédure de passer au Sénat.

Une majorité simple de sénateurs (41 votes sur 81) sera désormais suffisante d’ici au 11 mai pour lancer la mise en accusation de Mme Rousseff, et l’écarter pour un maximum de 180 jours de la présidence.

Elle pourrait encore finir vainqueur du procès qui serait ouvert au Sénat, une issue qu’écartent la plupart des analystes.

Le grand vainqueur de la crise est pour l’instant son vice-président, Michel Temer, devenu le premier opposant de la présidente membre du Parti des travailleurs (PT – gauche). C’est lui qui prendra sa place si le Sénat ouvre ce procès.

Temer, 75 ans, se voit déjà dans le fauteuil de chef de l’État, comme l’a montré en début de semaine l’épisode de la fuite, accidentelle ou non, du texte de son futur discours à la nation de prise de fonctions.

Homme d’appareil discret très peu connu des Brésiliens, Michel Temer est très impopulaire: les instituts de sondage ne lui donnent guère que 1 à 2% en cas d’élection présidentielle.

D’où un problème de crédibilité, aggravé par les soupçons de corruption qui pèsent sur lui dans le scandale Petrobras.

Des analystes estiment que ce constitutionnaliste et son parti centriste, le PMDB, ancien pilier de la coalition gouvernementale qu’il a lâché avec fracas fin mars, auraient face à eux une opposition avide de revanche.

Et cela avant même qu’il ne s’attelle aux problèmes structurels du Brésil, qui connaît sa pire récession économique depuis des décennies.

«La crise va continuer. En fait, elle s’aggravera parce que le camp perdant va utiliser tous les instruments à sa disposition pour bloquer les vainqueurs. Le Brésil va se réveiller (lundi) dans une situation encore pire», avance l’analyste politique indépendant André Cesar.

M. Temer a évoqué la mise en place d’un gouvernement d’unité nationale, mais «ce ne sera pas facile», explique à l’AFP Andre Cesar. «Ce sera un cauchemar».

M. Temer pourrait même devoir se battre pour se maintenir au pouvoir, estime Diego Werneck, de la Fondation Getulio Vargas, un centre d’étude politique privé.

Des alliés de Mme Rousseff ont lancé une demande en destitution à l’encontre de M. Temer, en assurant qu’il était autant impliqué qu’elle dans les manoeuvres fiscales qui ont motivé la procédure d’«impeachment» de la présidente.

Mais cette nouvelle procédure est embryonnaire et a peu de chances de progresser.

Une autre épée de Damoclès menace M. Temer: il est dans le collimateur du tribunal suprême électoral pour des soupçons de financement de campagne électorale grâce à des pots-de-vin à l’époque où il était candidat à la vice-présidence avant la réélection de Dilma Roussef en 2014.

Théoriquement, ce tribunal pourrait annuler l’élection présidentielle de 2014 et priver M. Temer de son nouveau poste. Le vice-président a d’ailleurs lancé une action devant ce tribunal pour qu’il examine ses comptes de campagne séparément de ceux de Mme Rousseff pour éviter une sanction commune.

Mais le premier obstacle à court terme serait de gouverner un pays et un parlement fracturés.

«Dilma» elle-même a été privée de pouvoir à mesure que ses relations avec le Congrès des députés s’envenimaient, avec en toile de fond le scandale de corruption Petrobras qui touche une bonne partie de la classe politique brésilienne. Parallèlement, confrontée à une extrême impopularité, elle devait affronter des manifestations monstres.

Le grand parti centriste de M. Temer, formations aux contours idéologiques flous et fluctuants, a toujours joué un rôle de faiseur de rois, s’abstenant même de présenter un candidat à la fonction suprême depuis 1994.

Et alors que ses partenaires potentiels ont l’élection de 2018 dans leur viseur, les alliances risquent d’être très fragiles.

«Un gouvernement Temer serait en meilleure position que celui de Rousseff mais (il serait) toujours sujet à une situation très compliquée», estime Diego Werneck. Surtout si le PMDB confirme sa volonté de présenter un candidat à la présidentielle de 2018.

Pour Sylvio Costa, responsable du site Congresso em Foco, Mme Rousseff est sans doute près de la porte de sortie: mais «le camp qui perdra, quel qu’il soit, sera dans la rue».

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