KENYA. Le récit de l’attaque sanglante des shebab sur un campus

5h30, jeudi 2 avril. Le campus de l’University College de Garissa, à l’est du Kenya et à 150 kilomètres de la frontière somalienne, est brutalement réveillé. Explosion. Tirs. Quatre hommes armés de fusils mitrailleurs abattent les deux gardes postés à l’entrée, pénètrent dans la résidence universitaire. Et commencent, immédiatement, à ouvrir le feu au hasard. Katherine, une étudiante, a d’abord cru à un « problème électrique ».

Nous dormions quand nous avons entendu une forte explosion suivie de tirs, tout le monde a commencé à fuir », raconte un de ses camarades, Japhet Mwala, qui a réussi à s’enfuir du campus, mais « certains n’ont pu quitter les bâtiments, vers lesquels les assaillants se dirigeaient en tirant. J’ai de la chance d’être en vie ».

Katherine a ensuite rejoint les champs entourant le campus, qui comprend une vingtaine de bâtiments, pour se cacher. « Nous nous sommes enfuis en courant. » Les étudiants qui, comme elle, ont pu s’échapper, racontent que les assaillants abattaient tous ceux qu’ils croisaient. « Les balles nous suivaient », témoigne également une autre étudiante. Les assaillants ont « tiré à l’aveuglette », déclare le chef de la police kényane Joseph Boinet. 

Certains ont pris la fuite par les fenêtres

Le journaliste de RFI Ahmed Kossar, qui a recueilli des témoignages d’étudiants, indique que d’après ceux-ci, les assaillants sont masqués.

Quand ils ont entendu l’explosion et les premiers tirs, de nombreux étudiants ont décidé de prendre la fuite, par les fenêtres, d’autres en escaladant les murs de l’université », rapporte-t-il notamment.

Le commando d’islamistes somaliens shebab a ensuite pris en otage environ 400 étudiants – 815 au total sont inscrits à l’University College- répartis dans six dortoirs du campus, rapporte « RFI« . Avant de libérer 50 musulmans, gardant les autres captifs. 

« Tuer ceux qui sont contre les shebab »

« Le Kenya est en guerre avec la Somalie […] nos hommes sont encore à l’intérieur et combattent, leur mission est de tuer ceux qui sont contre les shebab », déclare quant à lui à l’AFP Cheikh Ali Mohamud Rage, porte-parole du groupe islamiste qui a revendiqué l’attaque alors qu’elle était toujours en cours. 

Le porte-parole du groupe islamiste confirme que les assaillants avaient « relâché les musulmans ». Et a déclaré que le commando avait pour mission de « tuer ceux qui sont contre » le groupe affilié à Al-Qaida. 

« Les chrétiens étaient exécutés immédiatement », rapporte un autre témoin à l’agence AP. Des forces de police et des militaires ont par la suite encerclé les lieux, et échangé des tirs avec les islamistes pendant de longues heures.

Tirs nourris

A la mi-journée, « trois des quatre bâtiments » de la résidence sont « évacués », précise alors sans plus de détails le ministère kényan de l’Intérieur. Des tirs nourris sont entendus. 

Les assaillants sont retranchés dans l’un des bâtiments et les opérations continuent ».

Elles se poursuivront tout au long de la journée. A plusieurs reprises, les tentatives d’assaut des forces de police et des militaires sont repoussées. La zone autour du campus, situé à environ un kilomètre du centre-ville de Garissa, est totalement bouclée et les médias tenus à l’écart.

Ce n’est que dans la soirée, près de 16 heures après le début de l’attaque, que les forces de sécurité kényanes parviennent à lancer l’assaut et reprendre l’entier contrôle des lieux. « Les quatre terroristes ont été tués », annonce dans la soirée le Centre national kényan de gestion des catastrophes (NDOC). Selon le ministre de l’intérieur, un homme suspecté d’avoir fait partie du commando est arrêté alors qu’il tente de s’enfuir.

Couvre-feu dans trois comtés

Au fur et à mesure de la journée, le bilan des victimes s’est largement alourdi. Au moins 147 personnes au total, essentiellement des étudiants ont trouvé la mort. Et au moins 79 personnes ont été blessées, dont 9 grièvement. Les étudiants évacués ont passé la nuit dans une caserne en attendant d’être rapatriés chez eux vendredi. Un couvre-feu a été imposé jeudi soir jusqu’au 16 avril dans les trois comtés longeant la frontière somalienne, plus un quatrième limitrophe de celui de Garissa.

Selon une source sécuritaire occidentale citée par l’AFP, plusieurs membres des forces de sécurité et otages pourraient avoir été tués lorsque les quatre assaillants ont déclenché eux-mêmes, à l’approche des colonnes d’assaut progressant dans le bâtiment, les ceintures d’explosifs qu’ils portaient sur eux.

Cette même source n’a pas exclu que le bilan, déjà très lourd, puisse encore augmenter. Ce bilan est déjà le plus lourd depuis l’attentat au camion piégé perpétré contre l’ambassade américaine à Nairobi en 1998, revendiqué par la nébuleuse Al-Qaida, à laquelle les shebab sont affiliés.

Avertissements placardés sur le campus

En début de semaine, des rumeurs d’attaques contre cette université avaient circulé. Selon certains étudiants, des avertissements avaient été placardés sur le campus. « Les services administratifs de l’école avaient même été informés », a déclaré l’un d’eux, Nicholas Mutuku. « Mais personne n’a pris ça au sérieux car ce n’était pas la première fois ». Quand l’attaque est survenue, d’autres étudiants ont par ailleurs cru à un poisson d’avril.

Au moins 200 personnes ont été tuées et au moins autant blessées en 2014 au Kenya lors d’attaques revendiquées par les shebab ou qui leur ont été attribuées. Depuis que l’armée kényane est entrée en Somalie pour combattre les shebab, en octobre 2011, les islamistes somaliens ont multiplié les attentats au Kenya, jusque dans la capitale Nairobi et sur la touristique côte du pays, notamment à Mombasa, principal port d’Afrique de l’Est.

(Avec agences)

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