Sondeurs et médias avaient prévu une élection serrée. L’issue du vote aura finalement été «brutale». L’adjectif tournait en boucle vendredi matin dans la bouche des commentateurs sur les chaînes infos.
Le parti conservateur, avec 331 sièges, a écrabouillé les travaillistes pendant qu’en Ecosse, les indépendantistes du SNP les rayaient de la carte. Il y a eu des cris et des larmes, et comme dans le dernier épisode d’une saison de Game of Thrones, les têtes des vaincus ont roulé, avec la démission de trois leaders de parti en une matinée. Tour d’horizon des grands gagnants et perdants de ces élections générales britanniques.
Ils ont le sourire (carnassier)
David Cameron
On l’a dit indolent, désintéressé, loin du peuple. Il a dû littéralement remonter ses manches dans les dernières semaines de la campagne, pendant que dans son propre camp on commençait à chuchoter des noms pour sa succession à la tête des conservateurs. Autant de raisons qui font que la vague bleue, aussi incontestable qu’inattendue, est «la plus délicieuse des victoires» pour reprendre les mots du Premier ministre réélu. Contrairement à 2010, quand il avait dû former le premier gouvernement de coalition depuis 70 ans pour prendre le pouvoir, il revient au 10, Downing Street seul, fort d’une majorité absolue. Il laisse derrière lui un parti libéral-démocrate en miettes et un Labour déboussolé.
Nicola Sturgeon. Complètement inconnue du grand public il y a seulement quelques mois avant qu’elle ne succède à Alex Salmond à la tête du Scottish National Party, Nicola Sturgeon a fait une campagne sans-faute. «La femme la plus dangereuse du Royaume-Uni», selon les conservateurs, émerge à l’issue du scrutin plus forte qu’ils n’auraient osé l’imaginer. Régnant désormais quasiment sans partage sur l’Ecosse avec 56 députés sur 59 circonscriptions, la «First minister» du Parlement semi-autonome écossais aura à cœur de s’assurer que David Cameron poursuive la dévolution accrue des pouvoirs à l’Ecosse, comme promis au moment du référendum sur l’indépendance en septembre 2014. (Photo AFP)
Ils l’ont mauvaise
Ed Miliband
Le leader des travaillistes par ses supporters au siège londonien de son parti, le 8 mai. (Photo AFP)
La gauche british s’était persuadé que le «geek» maladroit qui avait poignardé son frère dans le dos pour arriver à la tête du parti s’était transformé en homme d’Etat viril. «Dur» face aux puissants (cf. sa fameuse réplique «Hell yeah, I’m tough enough» à la télévision) et idole des jeunes sur les réseaux sociaux, Miliband était capable de convaincre l’abstentionniste Russell Brand de voter et faisait des adolescentes des «Milifans». Au final, rien de tout cela n’aura servi, et la très virulente campagne de la presse de droite contre lui a payé. L’échec de Miliband est comparé à la déroute électorale du Labour en 1992… Mais en pire. Le candidat travailliste a logiquement annoncé sa démission à l’heure du déjeuner et laisse un parti travailliste «assommé», comme l’a titré à sa une le Guardian.
Miliband ne coule pas tout seul : il entraîne avec lui Ed Balls, ministre de l’Economie du cabinet fantôme et deuxième figure la plus importante du parti. La veille du vote, personne n’imaginait Balls perdre sa place au Parlement. Pourtant, au petit matin, les commentateurs, incrédules, le voyaient retenant ses larmes au moment de concéder sa défaite face à une candidate conservatrice débutante. En Ecosse, Douglas Alexander, autre figure centrale du parti, a connu le même sort aux mains d’une étudiante en politique de 20 ans seulement, représentant le SNP.
Nick Clegg (photo AFP) est l’autre grand brûlé de cette élection, même s’il conserve sa place à Westminster en étant réélu à Sheffield. Cinq années de coalition avec les conservateurs auront annihilé son parti à la sortie des urnes. Les libéraux-démocrates n’ont plus que 8 députés, contre 57 en 2010. Des «pertes catastrophiques» qui ont entraîné sa démission immédiate. Ses électeurs n’ont pas pardonné les renoncements à répétition de l’ex-wonder boy centriste, même si ce dernier se disait fier de son bilan au lendemain des élections. Vince Cable, ancien ministre Lib-Dem du gouvernement Cameron et ex-numéro 2 du parti, perd quant à lui sa place au Parlement.
A chaque extrême du spectre politique, le populisme n’a pas fait recette. A la droite de la droite, l’europhobe et anti-immigrés Nigel Farage n’est pas parvenu à se faire élire, malgré des sondages flatteurs pour le parti Ukip. Il avait promis de démissionner en cas d’échec : il l’a fait dans la matinée. Tout en se ménageant une possibilité de retour, en se présentant aux élections internes de son parti après l’été.
Figure controversée de l’extrême gauche, l’Ecossais George Galloway (photo AFP), qui avait humilié le Labour en remportant largement l’élection partielle de Bradford West en 2012, perd son mandat de député. Militant historique de la cause palestinienne et ex-député du Labour exclu pour son opposition virulente à la coalition anglo-américaine lors de la guerre en Irak, Galloway avait tout misé sur le vote communautaire pour se faire élire dans une circonscription qui compte une majorité de musulmans. Ça n’aura pas suffi cette année, après une campagne particulièrement sordide. Après avoir menacé les gérants d’un pub sur Twitter en soulignant à quel point il était risqué de vendre de l’alcool dans sa circonscription, le tribun du Respect Party avait accusé la candidate du Labour, Naz Shah (victorieuse), de recevoir le soutien d’Israël puis d’avoir menti sur son histoire personnelle. Dans une interview, cette dernière disait avoir survécu à un mariage forcé à l’âge de 15 ans au Pakistan. Galloway avait alors dépêché des détectives sur place pour retrouver sa nikah, son certificat de mariage islamique, qu’il avait alors brandi lors d’un débat public pour contester sa version. Après sa défaite, Galloway a vilipendé «les affreux, les vénaux, les racistes et les sionistes qui fêteront [son] échec. La hyène peut sautiller sur la tombe du lion, elle ne sera jamais un lion», a-t-il conclu en toute sobriété.
Russell Brand, quant à lui, a annoncé qu’il allait s’éloigner de la politique. Le comédien abstentionniste avait apporté son soutien à la dernière minute à Ed Miliband. Un retournement de veste que beaucoup pensaient décisif. Dans une vidéo YouTube postée après l’annonce des résultats définitifs, il dit regretter s’être «laissé entraîner dans tout ça», lui qui n’est «qu’un mec avec un ordi portable et une bouche». Au final, avec un Labour en miette et une participation forte, Brand était tout sauf un oracle.
Ils ne s’en sortent pas si mal
L’échec de Miliband, qui proposait une alternative au New Labour de la génération Blair et Brown, va forcer le parti travailliste à se réinventer une fois de plus. Pour cela, il faudra trouver un nouveau leader. Le député Andy Burnham (à gauche, photo AFP), 45 ans, ministre «fantôme» de la Santé de Miliband, a les faveurs des bookmakers. A moins que ce ne soit l’heure de Chuka Umunna (à droite, photo AFP), qui rêve de devenir le «Barack Obama britannique». Cet avocat métis de 36 ans, élu depuis seulement 2010 et ministre fantôme du Commerce, s’est montré très à l’aise dans les médias et bénéficie de l’appui de Tony Blair.
Caroline Lucas, réélue à Brighton Pavilion, sera une nouvelle fois la seule députée verte à Westminster. Mais les Greens ont des raisons de sourire : ils ont multiplié par quatre leur électorat par rapport à 2010, atteignant le million de voix à travers le pays. Un score historique pour les écologistes britanniques.
Photo Justin Tallis. AFP