Philippe Couillard semble être de plus en plus agacé par les gaffes publiques qui sortent régulièrement de la bouche de certains de ses ministres. Et non les moindres.
Le premier ministre lance donc une consigne tout à fait exceptionnelle à ses ministres de ne plus s’adresser aux journalistes de la presse parlementaire à l’entrée du caucus libéral. Les journalistes ne pourront dorénavant leur parler qu’APRÈS le caucus…
«On veut s’assurer que tout le monde s’entend sur les faits, qu’on a les faits réels avant de faire des commentaires», dixit M. Couillard. «On veut que le message gouvernemental soit informé sur les faits», lance-t-il également. Ce qui, veut veut pas, laisse entendre que le «message gouvernemental» n’est PAS toujours «informé sur les faits». Un constat qui laisse songeur.
Même si le premier ministre le nie bien évidemment et même s’il est loin d’être le seul visé par cette nouvelle consigne, Yves Bolduc – le ministre de l’Éducation à la prime dorée -, remporte certes haut la main le championnat toutes catégories de la gaffe du jour. Sa dernière en date sur les «fouilles à nue» dans nos écoles ayant même traversé les frontières du Québec…
Devant la réaction des journalistes de la tribune parlementaire dont c’est le TRAVAIL de couvrir les travaux de l’Assemblée nationale, Philippe Couillard a dit les trouver «un peu susceptibles». Se vantant d’être le premier ministre le plus «ouvert» et de diriger le gouvernement le plus «transparent» depuis longtemps, il n’en reste pas moins que dans les faits, sa nouvelle consigne envoie le message contraire.
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Contrôle du message ou «harperisation»?
De toute évidence, Philippe Couillard cherche à contrôler les messages qui émanent de son gouvernement bien avant de tenter de contrôler les médias comme tels. Or, que le premier ministre le veuille ou non, par ricochet, sa consigne aura aussi pour effet de réduire en même temps l’accessibilité des ministres aux médias. Et ce faisant, à la population elle-même. C’est précisément sur cet aspect des choses que la consigne est la plus troublante.
Elle est troublante parce que les reporters de la presse parlementaire jouent un rôle important en démocratie. Ils informent la population de ce qui se passe dans leur propre parlement. Donc, contrôle du message ou «harperisation» des rapports avec les médias?
En muselant ses ministres à l’entrée du caucus, le premier ministre alimente malheureusement les deux phénomènes. Et ce, il va sans dire, sans verser pour autant dans la fermeture quasi totale de Stephen Harper aux médias ou encore, dans l’extrême d’un Maurice Duplessis connu pour son contrôle autoritaire et de ses ministres et des médias. Même s’il ne l’aurait jamais vraiment prononcé, le fameux «toé, tais-toé !» que l’Histoire lui prête résume néanmoins le côté autoritaire de Duplessis à merveille.
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Une question de compétence ET de cohérence
En plus d’Yves Bolduc, c’est sûr qu’à divers moments, certains ministres du gouvernement Couillard ont «gaffé» plus que d’autres. Les Kathleen Weil, Lise Thériault, David Heurtel, entre autres. On se souviendra aussi du ministre de la Santé, Gaétan Barrette, qui, l’an dernier, sommait cavalièrement l‘ex-ministre libéral Claude Castonguay de «prendre sa retraite» au plus vite.
Mais la vraie question n’est-elle pas plutôt celle-ci : pourquoi y a-t-il eu suffisamment de «gaffes» pour amener le premier ministre à réduire l’accès des médias à ses ministres?
Commençons par reconnaître que tout nouveau gouvernement comporte son lot de «gaffeurs» qui sont habituellement des ministres néophytes. Or, ici, les Bolduc, Weil et certains autres, ont déjà été ministres sous Jean Charest.
C’est aussi évident que dans tout gouvernement, il y a certains messages de base qui doivent être harmonisés et coordonnés. Ceux qui portent sur ses grandes orientations, ses politiques importantes ou même sur la controverse du jour.
Par ailleurs, les sujets importants sont déjà discutés au conseil des ministres. Et s’il est vrai que ce qui se dit au conseil des ministres reste au conseil des ministres – solidarité ministérielle oblige -, à la sortie, il doit régner une certaine harmonie dans les «messages» communiqués publiquement par la suite.
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Quand un premier ministre peut faire confiance
Mais au-delà de ça, les ministres sont supposés être aussi capables de s’exprimer, disons, plus librement devant les caméras.Or, pour que cela soit possible, la condition sine qua non est d’avoir des ministres compétents, intelligents, qui connaissent leurs dossiers et ont un sens politique marqué.
Lorsqu’on parle de «compétence», on ne parle pas ici de «spécialisation», mais d’une capacité supérieure à assimiler et comprendre des dossiers complexes sans qu’il ou elle ne soit nécessairement «spécialisé» dans le domaine.
Dans les gouvernements Lévesque, par exemple, ou Lesage bien avant lui, les grosses pointures intellectuelles au sein du conseil des ministres étaient la règle et non pas l’exception.
Traduction: plus un premier ministre a des ministres solides, intellectuellement et politiquement, plus il peut leur faire confiance devant les médias. Le principe inverse s’applique cependant tout autant…
C’est pourquoi la consigne exceptionnelle du premier ministre Couillard est en fait le symptôme d’un problème sérieux. Soit un problème d’incompétence au sein même du gouvernement. Du moins, dans certains ministères importants comme l’Éducation et l’Immigration, entre autres.
Lorsqu’un premier ministre se voit obligé d’envoyer une consigne comme celle-là, c’est soit parce que les «gaffes» de certains de ses ministres se multiplient. Soit parce que la cohérence manque aussi au sommet même de l’appareil – au bureau du premier ministre. Ou soit encore, parce qu’il y a gaffes ET manque de cohérence. Les deux s’alimentant l’un l’autre.
Lorsque les gaffes se multiplient – y compris venant des ministres à la tête des ministères les plus importants -, force est alors de penser qu’on a affaire à une combinaison de manque généralisé de cohérence dans le «message gouvernemental» doublé de certains ministres qui n’ont peut-être pas la compétence requise pour occuper des fonctions aussi déterminantes dans la gouverne d’un État. Ce n’est bien sûr qu’une simple hypothèse…
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ADDENDUM:
En après-midi, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) dénonçait la nouvelle consigne du premier ministre en ces termes sans le moindre équivoque:
«Refuser de répondre aux questions des journalistes est une tactique d’obstruction qui compromet l’accessibilité du public à l’information. Le renvoi aux porte-parole, qui s’en tiennent à la version officielle et qui, souvent, ne connaissent pas bien les dossiers, en est une autre. Une telle directive de communications gouvernementales nuit fortement à l’information du public.Ce contrôle, qui s’exprime par une centralisation des communications, n’existe pas pour assurer une information plus rigoureuse du public. Il semble plutôt viser à protéger à tout prix l’image du gouvernement. Au nom de la transparence, la FPJQ demande à Philippe Couillard de retirer cette directive et de laisser ses ministres parler librement aux journalistes. La FPJQ presse par ailleurs le gouvernement du Québec de discuter de manière plus approfondie de sa politique de communication avec les acteurs sociaux intéressés, au premier chef avec les journalistes.»