Campagne américaine : les colistiers de Donald Trump et Hillary Clinton à couteaux tirés

Les résultats d’audience le confirmeront sans doute dans les prochaines heures : le débat des candidats à la vice-présidence n’a pas soulevé les passions des téléspectateurs. Il faut dire que le sénateur de Virginie, Tim Kaine, et le gouverneur de l’Indiana, Mike Pence, partaient de loin. Avant ce duel télévisé, organisé dans une université de Virginie, 40% des Américains ne les connaissaient pas, selon un sondage ABC. Pas sûr que ceux qui ont allumé leur télé soient restés branchés jusqu’au bout. Retour sur 90 minutes d’un débat offensif mais parfois brouillon.

1) L’ombre de Donald Trump

Premier enseignement – et c’est tout sauf une surprise – : des quatre candidats qui figurent sur les deux «tickets» démocrate et républicain, Donald Trump est assurément le moins préparé et le moins compétent. Calme et réfléchi, son colistier Mike Pence s’est exprimé posément, fort de son expérience de gouverneur. De l’avis général, il a semblé plus à l’aise que son adversaire démocrate, visiblement fébrile, et qui l’a très (trop) souvent interrompu.

2) Des stratégies opposées

Donald Trump incarne le changement. Voilà le leitmotiv de la campagne républicaine et Mike Pence s’est chargé de le répéter. Sur la politique étrangère, l’immigration, le terrorisme, il n’a eu de cesse d’associer Barack Obama et Hillary Clinton. Une manière de réduire une éventuelle présidence Clinton à un troisième mandat Obama. «Depuis sept ans et demi, nous avons vu la place de l’Amérique dans le monde affaiblie. Nous avons vu une économie étouffée par davantage d’impôts, plus de régulation, une guerre contre le charbon et l’échec de la réforme de la santé. Le peuple américain sait que nous avons besoin d’un changement», a déclaré Mike Pence dès les premières secondes du débat. «Vous pouvez tourner les chiffres comme vous voulez, les gens souffrent», a-t-il ajouté.

A l’inverse, Tim Kaine était manifestement venu avec une idée en tête : attaquer inlassablement Donald Trump, avec l’espoir – par ricochet – de mettre Mike Pence en difficulté. Invité à de nombreuses reprises à «défendre» les propos de «son» candidat, Pence n’a pas mordu à l’hameçon. Quitte à donner l’impression que Donald Trump était…. indéfendable.

3) Le boulet des impôts

Donald Trump le sait : le camp Clinton ne le lâchera pas sur son refus de publier ses déclarations d’impôts, comme le veut la tradition. Dimanche soir, le New York Times a révélé qu’en 1995, le magnat de l’immobilier avait déclaré une perte de plus de 900 millions de dollars. Selon le quotidien, Donald Trump a peut-être, grâce à cette perte, évité de payer des impôts fédéraux pendant une durée de 18 ans.

A plusieurs reprises au cours du débat, Tim Kaine a remis ce sujet sur la table, utilisant des formules efficaces, visiblement bien préparées. Lors de son premier débat avec Hillary Clinton, Donald Trump avait laissé entendre qu’il était «malin» de réussir à ne pas payer d’impôts. «Est-ce malin de ne pas payer pour notre armée ? Pour nos vétérans ? Pour les enseignants ? J’imagine que ceux d’entre nous qui paient pour tout ça sont stupides», a ironisé le sénateur de Virginie. Tout aussi percutant, Tim Kaine a fait le lien entre la question des impôts et les attentats du 11 Septembre, soulignant que Donald Trump ne payait peut-être pas d’impôts au moment où les Etats-Unis lançaient leur effort de guerre en Afghanistan et en Irak.

Clairement en difficulté sur ce sujet, Mike Pence a répété que Donald Trump avait «brillamment» et légalement utilisé le code des impôts «après une période très compliquée» dans ses affaires. 

4) Un moment de grâce

Cela restera comme l’un des échanges les plus profonds, et emprunts de respect, de cette campagne présidentielle. Tous deux croyants et pratiquants, Tim Kaine et Mike Pence ont été interrogés sur le rapport entre foi et politique. Le démocrate a répondu le premier, admettant avoir été tiraillé sur la question de la peine de mort. «L’église catholique y est opposée et moi aussi. Mais j’étais gouverneur d’un Etat où la loi stipule que la peine capitale est une option en cas de crime jugé haineux par un jury. J’ai dû me débattre avec ça», a expliqué Tim Kaine.

De son côté, Mike Pence a réitéré son opposition farouche à l’avortement, reprochant au parti démocrate, à Hillary Clinton et à Tim Kaine de soutenir le droit à l’avortement, y compris tardif. Opposé à l’avortement à titre personnel, le candidat démocrate a sobrement répondu : «Nous soutenons le droit constitutionnel des Américaines à écouter leur conscience (…) et à faire leur propre choix concernant la grossesse. Nous faisons confiance aux Américaines pour cela». C’est aussi ce que pense la majorité des Américain-e-s. La réponse de Tim Kaine a pu séduire des indépendants et des femmes indécises.

5) La contradiction russe

Ce fût l’un des moments les plus étonnants de ce débat. Sur la Russie, Mike Pence s’est assez clairement démarqué des positions de «son» candidat. Alors que Donald Trump n’a jamais caché son admiration pour Vladimir Poutine, dont il a souligné à plusieurs reprises la «force», le gouverneur de l’Indiana a qualifié le président russe de «petite brute». «Les provocations de la Russie doivent se heurter à la force américaine», a martelé Mike Pence, visiblement sur une ligne plus dure que le milliardaire à l’égard de Moscou.

6) Une modératrice trop effacée

Plus jeune journaliste à animer un débat depuis 1988, Elaine Quijano, 42 ans, a eu le mérite de poser des questions sur des sujets rarement évoqués, comme la foi ou la Corée du Nord. Mais pour le reste, elle a semblé totalement débordée par les deux candidats qui, trop souvent, ont parlé en même temps, rendant leur conversation inaudible.

A plusieurs reprises, elle a interrompu des échanges prometteurs – notamment sur l’affaire des emails d’Hillary Clinton – pour basculer vers un tout autre sujet. Enfin, à aucun moment la journaliste de CBS News n’est intervenue pour corriger ou contredire un candidat. Plusieurs opportunités évidentes se sont pourtant présentées, notamment lorsque Mike Pence a ouvertement menti sur des propos tenus par Donald Trump.

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Frédéric Autran Correspondant à New York

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